La dévergondée du village baise les moeurs de nos tendres et latentes bonnes femmes. Elle rend vains les attributifs luxurieux qui ne lui sont pas voués. Elle ranime les corps lobotomisés des maris mal aimés. Ce qui les rend tous fous d'elle,c'est que contrairement aux autres femmes, L ne demande jamais l'amour. Elle sait peut être qu'en l'acclamant, on se voit se le refuser, facilement.
La folle des corps me renvoie à ma terrible chasteté, moi la petite vierge qui épie toutes ces salades qu'on raconte sur elle,dans les rassemblements bienséants. Ces salades que j'aime me raconter la nuit pour m'imaginer des ébats déchirés entre un bonhomme que la vie a égaré dans les bras de la satiété de l'amour et du désir. J'ai longtemps écrit sur cette femme dont je ne sais rien, j'ai longtemps imaginé de longs dialogues avec cette elle, L, aile du péché. Vainement peut être.Le village,petit, la porte de sa maison,pas très loin, je ne me suis quand même jamais aventurée à aller la voir.
Le désir m'a longtemps été conceptuel, je ne pouvais qu'être admirative devant la pratique. Ma couardise a fait de moi une pécheresse conceptuelle repentie en adolescente "comme il faut" . Les hommes m'effraient et je ne pouvais me languir à l'idée d'être aimée un jour du moins corporellement. Le mien était un territoire vierge et inexploré. J'avais beau regardé, me questionner, "me former", on ne se connait vraiment qu'à travers l'autre.
C'est ainsi que j'ai vécu ma puberté, entre refoulement de mes envies les plus simplistes et fascination pour cette "pute extravagante qui ferait mieux de se trouver un mari qui saurait lui sceller les jambes". Phrase empruntée à l'épicière à laquelle je me rends tous les matins,prétextant le pain,ne cherchant que les derniers ragots sur cette Femme.
Et pis, il eut ce jour qui avait tellement mal commencé que je sentais qu'il allait être soustrait du morne de mon amer quotidien. La matinée, j'eus une violente dispute avec mon père, avant que ce dernier ne s'empresse dans ses élans stigmatisés de père voulant insulter et rabaisser sa progéniture pour se sentir mieux après une nuit tellement agitée avec ma bougre de vieille maman,j'étais déjà lancée dans les rues matinalement désertes du vieux port. Je pressais le pas sans savoir où aller, j'étais tellement petite devant ce soleil qui peine à se lever, tellement aigrie par cette journée dramatiquement entamée. Lasse, je traînais des pieds à l'aveuglette,jusqu'à me retrouver devant un portail que j'ai toujours épié de loin, de très loin.
Je me décide à aller la voir,de toutes les manières,cette journée est une de celles où on se dit,sans se mentir,que l'on a rien a perdre,quoi que l'on fasse.
Je frappe, elle ouvre, je me présente, elle dévisage. Elle est drôlement belle sur ce perron qui me refuse autant qu'elle. Je demande à entrer, et sans gêne , elle me dit que vu mon age et mes taches de rousseurs pucelles je n'ai rien à "foutre" ici.
J'insiste et je me retrouve dans un salon baroque où les antiquités se mêle aux images qui m'ont toujours hanté de la beauté sulfureuse et aristocrate de L.
Elle ramène deux cafés et s'assoit avec une de ces postures qui différencient les belles femmes des rejetons de l'esthétisme féminin trivial.
"Qu'as tu donc fait bougre pour que ton père s'amuse à te foutre dehors?"
"Je suis partie de mon gré."
"C'est que mademoiselle fait dans la rébellion."
"Non,je n'aime pas quand les mâles font dans l'impétueux,je ne me pardonne jamais la soumission."
"Pourtant, la soumission a ses charmes."
Petit sourire espiègle, le contexte sexuel est mis sur le tas, la discussion pourrait très vite m'être profitable,mais ..
"Et l'école?"
"Oh, L commencez pas!"
"Tutoies moi, ma chérie."
Ce ton maternel,je lui avais jamais associé auparavant. Bougre que je suis,j'ai toujours eu cette sale manie de dissocier les femmes des mères. N'ayant pas connu les joies d'être ni l'une ni l'autre.
"Tu me penses femme?"
"Tu es là pour m'entendre relater du De Beauvoir ?"
"Non,elle, je ne l'aime pas."
"Tu m'en vois ravie"
Ainsi,elle est née femme? Ou est elle aussi machiste que moi? Les questions coaguleraient presque, je devais en extraire quelques unes, je ne pouvais pas me permettre de rater cette "chance" qui m'est offerte.
"Le premier amant est il le dernier L?"
"Mais qui t'a bourré avec ces sornettes ma douceur?"
"Des contes,mon âge, la vie, ou le simple fait que je suis une ignare."
"Parce que tu penses que c'est une affaire de savoir?"
"Non justement. Mais, .." Les mots se tordent, je n'y arrive plus, j'oublie soudain la raison de ma venue, puis je me rappelle rassurée qu'il n'y en a pas de raison, que c'était cette rencontre est le seul aveu que je pourrais confesser dans l'immédiat de ma situation et que cela devait changer. Il me semblait, et il m'a longtemps semblé que seule L pourrait remédier à mes attitudes mes idées et mes visions piétinés par les coutumes et les restrictions.
"Qu'aime-t-on chez un homme?"
A partir de ce moment,du moment où j'ai posé cette question banalement formulée,une suspension s'est incrustée dans le naturel d'une conversation entre une femme mature et une adolescente dont le peu d'expérience est la perdition. Cette suspension a figé deux vies,inversant rôles et acquis et je sus que ma question n'était pas sans attrait pour mon L. J'avais entrouvert tout un univers que L avait passé des années à barricader.
"Je .. Je ne sais plus..."
Elle eut l'air d'une petite fille dans les émois de la dyslexie. Celle de cette drôle de femme n'était pas seulement sémantique, elle était aussi sentimentale. Je baisse mon regard,il n'est même plus pointé au sol, il est dissout dans le parquet minutieusement nettoyé. Je lui avais causé du tort et tout ce que je souhaitais c'était de disparaître dans une des failles de ce bois étanche.
"Voulez vous que je vous parle de lui?"
"Hein? Heu, pardon,je n'ai compris ma douceur."
"Lui,l'amant imaginaire,l'amour qui m'attend aux aguets de la vie ou de la mort, l'amant que je connais sans pouvoir répondre comme vous à ma question si bête.."
Un sourire triste, dans la même mélancolie douce de son fin épiderme,de son teint de femme du monde, de ses airs délicats dans cette supercherie d'un monde bâti sur les protocoles de la bonne tenue et de la bienséante parole,de la bonne attitude et de la bonne façon de vivre. Comme s'il était possible bonté divine de déterminer ce bon qui donnerait un sens à toutes leurs pieuses prêches.
"Le cimetière,il faut aller au cimentière et demander cette réponse que nous ne saurions formuler au mâle dont le mal a consumé juste au moment où je sus ce qu'est aimer.Il s'appelait M.Mois.Allez demander,moi,je ne sais plus que faire parler mon corps et il me semble que vous n'êtes pas de ceux qui amalgament la bénédiction d'aimer un être avec cet acte ignare de soudoyer sa chaire."
Cette fois,le ton était tranchant,je sus que je devais partir. Je la remercie vivement, et je me détourne avec la même rapidité de son regard devenu pénible à soutenir.
Il était évident où mes jambes allaient me mener après. Passée la gêne de se surprendre impatiente,je me mis carrément à courir. Et je riais en pensant au funèbre de cette course,Rimbaud s'en verrait envieux,et je ris aussi précipitamment que ma désinvolture m'avait illusionnée que j'avais compris L.
Le tombeau n'était pas si dur à trouver, je lus la transcription de l'épitaphe plusieurs fois. A la quatrième,j'éclate en sanglots.
M.Mois (1967-1993)
"Au temps où ce coeur s'est arrêté,vaines furent les trente années pour trois années passées à tes côtés.Vienne la nuit,sonne l'heure,les jours s'en vont,que tu demeures.A L.Corps,âme et poussière."
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