jeudi 11 août 2011

Correspondances entre un mourant et une suicidaire

Chère Apostine,

Je ne sais comment entamer cette lettre,je vais laisser le tumulte des mots et le chagrin qui les enfante,me guider.

Qui suis je? Ou plutôt quel lien nous unit? Vous,qui allez recevoir cette lettre anonyme dans les jours à venir,allez surement vous poser cette question,ou peut être simplement jeter avec une rage polie ce bout de papier sur votre table de chevet.

Ma chère Apostine,la mort me connait,puisqu'elle me guette chaque nuit du fond de ma chambre de vieil homme aigri et solitaire.La mort est une tortionnaire,ma douce,elle attend,dans une patience qu'aucun être homme ne connaîtra jamais.Je me dis même dans mes élans d'intellectualisation,qu'elle est notre parfait opposé.Je vous évite mes manières estudiantines dont je n'ai pas pu me débarrasser.

Mon Apostine,pour dire vrai,ma fille portait votre nom,et l'imparfait que j'emploie,incombe que cette lettre sera ré-écrite.Je ne tiens pas à ce que mes larmes fassent taches.
Vous parler d'elle c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour raviver votre regard,à l'heure où tout le corps médical qui vous assiste se déploie à vous enterrer vivante. (Vous m'excuserez ma sénilité)
Mais vous ne partagez pas seulement un prénom,vous avez aussi la même date de naissance.En Novembre,Berlin s'est vue dépourvue d'un mur,et moi,je me suis trouvé,pourvu d'un enfant.Imaginez ma joie,ce cliché du père qui se voit éduquer,nourrir,bercer,mais surtout aimer. Imaginez moi quand le corps médical qui a assisté mon Apostine m'a déclaré que mon gosse n'allait pas vivre.Et ils avaient dit vrai.Apostine est morte deux jours,après sa naissance.

22 ans,votre age,aujourd'hui,22 printemps que j'aurais aimé vous offrir,au lieu de ces 22 hivers qui ont fait de vous,une impatiente guetteuse de la mort,et de mon enfant,un tas d'os enterré dans ce cimetière que je connais plus que les bars et les cafés.

Ma fille m'a été ôtée,par cette rustre désinvolte qu'est la mort,je ne peux donc pas rester là,les bras (ou les mains) croisés,à savoir qu'une Apostine se fait séduire par ce monstre deux décennies plus tard.
Puisque cette lettre est aussi bien un requiem qu'un hymne à la vie,je voudrais que je vous sachiez que je n'en ai plus pour longtemps,moi et ma lettre qui devient un peu trop longue d'ailleurs.
Vous recevrez un coup de téléphone de mon avocat dans les jours à venir,je vous lègue donc ma vie,et celle de mon enfant mort-né,ma tendre Apostine.

Ayez en bon usage.

Tendrement,
Un vieux sénile qui prend sa revanche sur une garce.



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