mardi 28 mai 2013

Contes pour adultes naïfs et consentants

Petite histoire sans nom I

La dame, cette si jolie dame, avait ironiquement demandé, dans une basse cour somnolente, si quelqu'un avaient des vers à cacher, de la poésie qui traînerait dans quelques poussiéreux tirroirs d'ados.
"Qui de vous a composé un poème?". La classe restait silencieuse. Je me demande combien de vers d'amour ont été tus ce jour là, par peur de l'affront, par peur de ne pas être à la hauteur de l'académisme.
Comment aurait-on pu lui dire quoi que ce soit à la jolie agrégée? Comment aurait-on pu lui avouer à la belle dame que l'on vit d'alexandrins, que l'on s'abreuve de prose libre et libertine, qu'on aurait lu Baudelaire sans rien connaître du symbolisme, ou que l'on ait bu les alcools d'Apollinaire quand l'ébriété nous était encore interdite?
Elle aurait pu se douter, elle se doutait peut être que le silence est la seule affirmation qui soit offerte à nos moi écrasés, étouffés, modelés dans la grande matrice de la réussite sociale.


Petite histoire sans adresse et sans curriculum vitae II

J'ai pris l'habitude de la croiser. On allait toujours à contre-sens elle et moi. Nos routes n'ont jamais été parallèles. Mais on étaient semblables, du moins dans ma vision chaste de l'unicité. Nous habitons le même voisinage. Nous suivons les mêmes dédales pour nos courses, pour nos errances. Elle aussi erre. Elle, surtout. Je ne sais plus quand je l'ai connu. Je sais plus quand ça s'est fait. Mais nous avons pris coutume de nous saluer quand nous nous croisons, en simples piétons discrets, d'un quartier bourgeois où marcher est signe de privation. Enfin, les gens de ces quartiers ont de drôles de chartes de la vie et de la bienséance que je ne compte plus discuter. Elle était folle depuis peu, cette tendre petite femme sans nom sans adresse. Enfin, folle... Ce serait complimenter les "bien-portants" de traiter cet être de fou. Non, elle était quelque part. Loin de nous, du moins. Elle et ses cheveux poivre et sels narguaient le monde. Il y'avait cela de remarquable chez les "errants"; cet air de mépris qu'un détail du corps semble afficher. Il y a toujours en eux quelque chose qui se rit de nous. Les êtres simples et "normaux". Elle m'a semblé changée quand le dégoût s'est manifesté en elle, explicitement. Il m'arrivait, en rentrant, de l'apercevoir, de loin et toujours à contre sens, à se parler. Elle vomissait sur les codes du langage, désormais, elle s'en torchait le cul des règles de l'éloquence et de la locution. Elle s'en branlait que sa solitude fasse d'elle quelqu'un qui se parle, à défaut de parler à un ami, un parent, un proche, une inconnue. Et puis, y'a eu ce jour où elle ne s'en foutait plus, je l'ai salué et j'avais continué mon chemin. Moi-même, j'enfonçais ma tête au sol en marchant. Comme elle, je crois que je m'en suis fichue ce matin-là qu'on me perçoive pleurant sans bagnole dans un quartier bourge.
Elle a crié un "salut" de loin. Ma tendresse pour elle me fait m’arrêter. Je me rapprochais, elle restait là, à m'attendre, du moins à attendre de parler et d’être audible sans avoir à crier.
Son bon français m'a pris de court. La conversation était intelligible.Elle était "la vie". Son bon sens était là, intact. Ses mots sentaient un vécu ardent, à couper le souffle aux petites sournoises qui habitent les maisons de coiffure. Mais ça n'aurait pas fait de la bonne littérature de rapporter ses dires. L'esthétique y serait mais l'éthique et le respect qu'on doit à certains inconnus, sans véritable mobile, ne seraient nullement garantis.
Je crois même que tout le "beau" de ce texte se résume à cette idiote analogie que je fais entre mes lignes bébêtes et sa longue marche quotidienne et silencieuse, aussi absurde que l'escalade de Sisyphe. Et même que le sentier vertigineux et mon quartier en hauteur, font d'elle un Sisyphe qui se passe de la sublimation et de la mythologie. Ce n'est là que le littéral de la vie.



Crédits: Cherche-moi






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